13 rue Garibaldi (Suresnes - Hauts-de-Seine)


Le hasard m�a r�cemment fait d�couvrir �L�Architecture usuelle�, une assez passionnante revue, dont l�architecte E. Rivoalen fut longtemps le directeur. C�est en 1903 que ce collaborateur tr�s r�gulier de �La Construction moderne� commen�a la publication de ce petit journal mensuel, imprim� � Dourdan, et qui allait para�tre r�guli�rement jusqu�au d�but des ann�es 1920.
La particularit� principale de �L�Architecture usuelle� �tait de s�int�resser aux petites maisons de banlieue, dont la client�le appartenait � la moyenne bourgeoise. Au moins pendant les premi�res ann�es de sa publication, on n�y trouve donc ni palais, ni villas luxueuses, aucun �difice industriel, fort peu d�immeubles parisiens et pratiquement rien en dehors de la r�gion parisienne. Quelques pages y suffisaient � commenter une ou deux constructions, avec des d�tails techniques et financiers, des jugements stylistiques, le tout �tant accompagn� de dessins, de photographies et de plans. L��difice principal de chaque num�ro avait �galement droit � une jolie planche isol�e en couleurs.
Cette revue �voquait ainsi des constructions assez fr�quemment m�pris�es par les grandes revues d�architecture, plus friandes d��difices publics ou d�immeubles urbains. J�en ai pourtant d�j� parl� � propos des �uvres r�alis�es par Maurice Porche � Vincennes. J�y reviens donc pour �voquer un architecte totalement inconnu, et pourtant bien int�ressant : Andr� Chevallier.
En effet, au cours des premi�res ann�es de la revue, cet artiste eut droit � plusieurs publications, notamment de maisons r�alis�es � Saint-Cloud, ce qu�il laisserait peut-�tre entendre qu�il exer�a une partie importante de son activit� dans cette ville. Mais �L�Architecture usuelle� �voqua �galement un petit cottage pour Clamart et commen�a m�me la s�rie, dans sa 13e livraison (ann�e 1904-1905), avec un autre cottage, alors situ� avenue des Couvaloux, � Suresnes. Int�ressons-nous � cette derni�re...


Les documents publi�s pr�sentent une tr�s pittoresque maison, construite en moellons de meuli�re, et prot�g�e de la rue par une tr�s simple cl�ture en bois, dont le joli portail d�entr�e donnait, sur son linteau en carreaux de fa�ence, le nom de la propri�t� - �Ma chaumine� - et celui de l�architecte, en le d�clarant actif � Paris (1). Le texte d�taille les principales caract�ristiques de la maison : �ainsi que le balcon abrit� d�un auvent dont les montants, solidement ancr�s par le pied, supportent tout le syst�me de charpente rustique : c�est, avec le porche ouvert en arc rampant et son contrefort, autant de motifs rationnels, d�id�es aimables ou amusantes, au lieu des caprices tr�s bizarres que d�autres s�ing�nient � formuler, sous pr�texte d�art nouveau pr�tendu. [...] C�est, en un mot, de bonne construction et de l�architecture pittoresque, spirituelle en son absolue rusticit�.�
Il fait peu de doutes que la critique assez vague d�signait, sous le mot �autres�, Hector Guimard et son Modern' Castel (ou Castel Canivet), construit � Garches en 1899 (2). Le rapport entre les deux maisons est �vident, notamment par la pr�sence de comparables b�quilles de bois, destin�es � soutenir un important encorbellement, sauf que Chevallier resta dans le cadre d�une volontaire simplicit�, l� o� Guimard avait hauss� son castel au niveau d�une grande villa fortifi�e, aux volumes compliqu�s et savamment imbriqu�s les uns dans les autres, agr�ment�e de balcons, de piliers et d�ouvertures largement encadr�es de pierre. Il n�est pas inint�ressant de savoir, si on en croit une revue allemande contemporaine, que la charpente et la menuiserie de la maison de Garches furent r�alis�es par M. Normand, artisan... � Suresnes.
Le cottage de Chevallier n�est �videmment pas une copie de l��uvre de Guimard. Elle n�a jamais eu cette pr�tention. Mais, malgr� sa grande sobri�t�, elle en pr�sentait certainement une �vidente variation. La presse nationale a �t� peu �mue par la Modern' Castel, pourtant construit, avenue Alponse-de-Neuville, dans le prestigieux parc de Beauveau-Craon, comme par toutes les autres maisons construites � la m�me �poque par Guimard dans la r�gion parisienne (S�vres, Versailles, Le V�sinet...) ; elle ne s�int�ressa pratiquement, apr�s le Castel B�ranger, qu�aux �dicules du M�tropolitain. Mais, si une sorte de silence commen�a � entourer l�architecte, dont il fut sans doute en partie responsable en voulant garder un dangereux monopole sur la diffusion de son travail, cela ne veut pas dire que son travail ait �t� ignor�, notamment par des confr�res actifs dans les environs. Et Suresnes n�est pas tr�s �loign� de Garches. D�une mani�re g�n�rale, les influences sont toujours difficiles � mesurer. Sauf que, dans le cas pr�cis, Andr� Chevallier a tr�s certainement propos� une version plus modeste et financi�rement raisonnable, d�un mod�le parfaitement identifiable.
Le Modern' Castel, en dehors de quelques d�tails et de sa belle cl�ture m�tallique - curieusement sauvegard�e, alors que, g�n�ralement, ce genre d��l�ments est prioritairement sacrifi� -, nous est parvenu dans un �tat d�sesp�rant, puisqu�il fut enti�rement modifi� dans les ann�es 1930. perdant alors toutes ses saillies, ses tr�s originales b�quilles de bois, sa petite toiture d�angle et tous ses balcons. L��uvre de Guimard ne s�y reconna�t pratiquement plus, au point que la reconstitution de son �tat d�origine appara�t d�sormais inimaginable.
Comme l�article de �L�Architecture usuelle� donnait l�adresse de la maison de Chevallier, je me suis bien �videmment pr�cipit� sur place, avec l�espoir de retrouver cet int�ressant avatar du castel de Guimard, mais aussi avec la crainte qu�il ait �t� victime de l�urbanisme qui a tant modifi� cette partie des Hauts-de-Seine, A l�heure actuelle, une �avenue� des Couvaloux n�existe pas � Suresnes, mais une �rue� porte heureusement ce nom. Ce fut donc le point de d�part d�une �chasse au tr�sor�, finalement assez courte, puis l��tonnant balcon de la maison �tait facilement visible, non pas dans la rue des Couvaloux elle-m�me, mais au bout de la rue Henri-Regnault qui la traverse. Sans doute l�avenue que je cherchais est-elle devenue, entre-temps, l�actuelle rue Garibaldi.

La maison est pratiquement rest�e dans son �tat d�origine, puisqu�elle a conserv�, outre ce pittoresque balcon, ses ferronneries d�origine et son curieux contrefort d�angle. Certes, le porche a �t� ferm�. Et la cl�ture en bois a �t� remplac�e par un mur en meuli�re, plus solide. Cette modification a donc entra�n� la perte du porche d�entr�e, le nom de la propri�t� et la signature de l�architecte. Mais, au lieu d��tre d�molie pour faire place � une habitation plus grande, la construction fut simplement agrandie - sans doute dans les ann�es 1930, dont t�moigne le style des garde-corps des fen�tres suppl�mentaires -, gr�ce � l�achat probable du terrain adjacent : sur la rue Garibaldi, le mur qui s�parait � l�origine les deux parcelles a d�ailleurs �t� bizarrement conserv�.
Lors de ces travaux, la charmante salle-�-manger, longuement d�crite dans l�article de 1904 - et visible sur le dessin en couleurs de la planche hors-texte -, aurait-elle �t� �galement transform�e ? Peut-�tre a-t-elle perdu, outre sa chemin�e-dressoir, partiellement r�alis�e en c�ramique, ses �tranges si�ges lat�raux int�gr�s aux boiseries. Mais ses deux fen�tres �troites, en arc de cercle, ont heureusement �t� conserv�es.
Cette petite promenade matinale � Suresnes fut extraordinairement r�jouissante, parce qu�elle laisse esp�rer que tout ce qui �tait un peu original, en 1900, n�a pas �t� syst�matiquement d�truit. C�est donc avec un certain optimisme que je suis reparti vers la gare du Val-d�Or, tout en musardant - comme jen ai l�habitude - dans quelques rues de ce joli quartier de Saint-Cloud.

J�y fus attir� par deux maisons, qui pr�sentaient avec celle de Suresnes quelques int�ressants points communs : un balcon en bois blanc, orn� d�un motif tr�s simple en forme de V renvers�, et de discr�tes ponctuations dans la meuli�re, sous forme de fines lignes de petites briques verniss�es en vert. La premi�re se trouve au 30, avenue de Longchamp ; la seconde, agr�ment�e de superbes linteaux de fen�tres en fer, est au 55, avenue Alfred-Belmontet. Cette derni�re a certainement perdu une partie de son portail d�origine, la ma�onnerie laissant supposer quelque chose de nettement plus int�ressant que la grille aujourd�hui visible.


En v�rifiant parmi les articles de �L�Architecture usuelle�, il n�a pas �t� difficile de retrouver la maison de l�avenue de Longchamp, publi�e dans la 25e livraison (1905-1906). On y retrouve son joli portail - et les jolies d�corations en coup-de-fouet qui ornent la cl�ture - et son �tonnant arc d�inspiration m�di�vale, qui fermait � l�origine l�entr�e du jardin arri�re. Andr� Chevallier y est bien mentionn� comme architecte. Les traits de style, communs entre toutes ces maisons, permet d��tre certains que la troisi�me d�entre elles est �galement son �uvre.











Malheureusement, si une autre de ses constructions clodoaldiennes figure bien dans la 59e livraison de la revue (ann�e 1907-1908), il s�agit d�un �difice compl�tement diff�rent. Il nous permet au moins de supposer cet architecte particuli�rement actif dans ce quartier du Val-d�Or, et certainement aussi dans les localit�s voisines de Saint-Cloud.
Pittoresque et original, agr�mentant ses maisons d�allusions plus ou moins discr�tes � l�Art Nouveau et aux formes m�di�vales, Andr� Chevallier m�ritait, sans doute, d��tre sorti un court instant de son trop long oubli. Il nous propose, en tout cas, une vision un peu nouvelle de l�architecture suburbaine, dans ses rapports t�nus, car difficilement mesurables, avec l��uvre des �grands� cr�ateurs.

(1) Une recherche dans les demandes de permis de construire de la ville de Paris s�est r�v�l�e bien d�cevante, donnant la r�f�rence, �ventuelle et rare, de tr�s bas �difices, modestes, dont la vie doit avoir �t� br�ve. Certes, le patronyme de Chevallier est assez courant, mqais aucun architecte ayant port� ce nom n�y est mentionn� avec le pr�nom d�Andr�. On doit donc en conclure que celui-ci avait certainement son agence � Paris, mais avec une tr�s probable sp�cialisation dans les pavillons de banlieue.
(2) Dans un premier �tat de cet article, j'avais inclus deux images de la maison de Guimard. Mais, consacrant aujourd'hui (23 d�cembre 2016), un texte sp�cifique � la construction de Garches, jai pr�f�r� y regrouper toutes les photographies destin�es � l'illustrer. On s'y reportera donc pour la comparaison entre les deux �difices.