Entracte n�12 : 5 rue des Francs (Bruxelles)


La maison personnelle de Paul Cauchie (1905), aujourd�hui reconnue comme l�une des �uvres majeures de l�Art Nouveau belge, revient de loin ! Promise � la d�molition par la propre fille de l�artiste � la mort de sa m�re, elle fut miraculeusement sauv�e gr�ce � la mobilisation d�un groupe courageux d�esth�tes bruxellois, puis par son achat par les propri�taires actuels, toujours rest�s passionn�s et passionnants, qui ouvrent volontiers leur maison � la visite, tous les premiers week-ends de chaque mois.

Ils entreprirent, entre autres, la restauration exemplaire - mais d�licate - du monumental sgraffite de la fa�ade, d�pos� en plus de quatre-vingt-dix morceaux, o� Cauchie a repr�sent� les diff�rents arts, symbolis�s par de ravissantes femmes drap�es. Cette composition se devait d��tre remarquable, comme le chef-d��uvre de son auteur, principalement peintre et d�corateur, qui ne s�adonna � l�architecture que tr�s occasionnellement. Il s��tait, en effet, sp�cialis� dans l�art du sgraffite, technique de peinture murale o� le dessin, avant d��tre peint, est pr�alablement grav� dans l�enduit frais. Et il fut certainement l�auteur des plus beaux exemples de ce art ancestral, remis � la mode � l��poque de l�Art Nouveau.
L�architecture de la maison, tr�s �troite, surprendra par son caract�re tr�s �s�cessionniste�, notamment gr�ce � la pr�sence de fines colonnettes m�talliques qui m�nagent une sorte de vestibule ouvert au rez-de-chauss�e et � la stylisation extr�me des deux balcons.

Lors des diff�rentes campagnes de nettoyage et de restauration, d�immenses sgraffites furent �galement d�couverts � l�int�rieur de la maison, dans le couloir du rez-de-chauss�e, mais surtout sur tous les murs de la salle � manger. Connus gr�ce � des photographies anciennes, ils avaient �t� simplement masqu�s sous des papiers peints.
Les sgraffites sont g�n�ralement r�serv�s � la d�coration ext�rieure des maisons. Leur pr�sence, � l�int�rieur, est beaucoup moins fr�quente, sinon rarissime. Mais on ne pouvait sans doute pas s��tonner, de la part d�un grand artiste dans ce domaine, d�en trouver jusque dans sa salle � manger !

Que repr�sentent ces diff�rentes femmes, occup�es � sentir des fleurs, � se regarder dans un miroir, � faire de la musique ? Les principales sc�nes sont assur�ment des all�gories des cinq sens. Mais les deux derniers panneaux, de part et d�autre de la porte ouvrant sur le salon adjacent, sont d�une interpr�tation beaucoup plus �nigmatique et pourraient, � la fa�on de la sixi�me tapisserie de la fameuse s�rie de la �Dame � la licorne�, avoir un sens beaucoup plus secret, sinon personnel, peut-�tre li� � la destination initiale de la maison, construite par Cauchie imm�diatement apr�s son mariage avec une autre artiste-peintre. Elle n�est d�ailleurs sign�e et dat�e que sur le conduit de la chemin�e, mais d�une fa�on presque sibylline - L C 1905 -, les deux initiales �tant celles des deux �poux : Lina et Paul.

La fra�cheur de ces peintures est exceptionnelle. Et le caract�re presque confin� de la salle, aux dimensions tr�s modestes, leur donne une monumentalit� assez impressionnante. Comme sur la fa�ade, Cauchie a r�alis� une magnifique synth�se, d�j� pr�monitoire, entre l�Art Nouveau alors triomphant - reconnaissable � l�atmosph�re tr�s symboliste des sc�nes et � la beaut� tr�s alanguie des diff�rentes jeunes femmes - et l�Art D�co, d�j� en gestation, visible dans tous les �l�ments purement g�om�triques, tr�s stylis�s, mais aussi dans le caract�re d�j� tr�s ac�r� des formes. La gamme color�e, limit�e, joue sur la d�licatesse de teintes douces, o� dominent le vert et le brun, ponctu�s de rouge et de mauve.
La sauvegarde providentielle de ce d�cor, tant ext�rieur qu�int�rieur, permettrait presque de ne plus se lamenter de tant d��uvres disparues � Bruxelles. Car malheureusement, l�Art Nouveau n�a pas �t� mieux sauvegard� en Belgique qu�en France, et de nombreux �difices majeurs y ont irr�m�diablement disparu.