41 rue de Lille (7e arrondissement)
S�il y avait eu treize convives lors du d�ner de l�ann�e 2016 - nombre malencontreusement d� � deux d�saffections de derni�re minute -, nous �tions onze pour celui de cette ann�e. Les invit�s comprenaient, pour l�essentiel, les participants de mon petit jeu, autour d�Olivier P., incontestable gagnant, auteur d�un nombre tr�s cons�quent d�envois qui lui avaient valu des votes presque unanimes.
Le lieu choisi �tait l�ancienne �Maison des Dames des Postes, T�l�graphes et T�l�phones�, 41 rue de Lille, construite par Eug�ne Bliault en 1905 - sa demande de permis de construire fut publi�e le 18 mai de cette ann�e-l� -, adresse assur�ment moins connue que bien d�autres tables parisiennes du m�me genre. C�est bien pour cette raison que j�ai choisi le �T�l�graphe� � bien d�autres restaurants Art Nouveau, pensant que la surprise offrirait un suppl�ment � la f�te. Son nom de �T�l�graphe�, une fois connue la destination premi�re de l��difice, ne surprendra donc personne.
Dans cette rue assez �troite, l�architecte avait jou� la carte de la verticalit�, mettant l�essentiel de son originalit� dans les parties hautes : galeries, couronnement lat�ral en forme de belv�d�re (plus facilement visible depuis la proche rue du Bac). Il singularisa son travail par la coloration presque insolite de parements de briques roses, au milieu de la blancheur ambiante d�une rue d�aspect tr�s uniforme. Malheureusement, par souci d��conomie, il ne put faire r�aliser les belles ferronneries sp�cialement dessin�es pour les garde-corps ; celles-ci appartiennent � un mod�le assez commun trouv� dans un catalogue industriel.
Un grand panneau aux lettres dor�es signale encore, de nos jours, la destination initiale de l��difice, � savoir : un foyer pour jeunes employ�es de la poste, principalement d�origine provinciale, qui pouvaient y trouver l� une chambre individuelle, mais �galement un vaste r�fectoire o� on leur garantissait, � chaque repas,... de la viande et du vin !
Bliault est un architecte extraordinairement rare. La petite poign�e de projets rep�r�s � Paris - dont le foyer de la rue de Lille est un des plus anciens - ne le situe dans aucun arrondissement de pr�dilection, indice que son activit� ne fut certainement pas cantonn�e dans les limites du p�rim�tre parisien. D�ailleurs, l�un de ses travaux les plus importants est le Palacio Portales, une vaste villa assez tardive, construite entre 1915 et 1927 � Cochabamba, en Bolivie ; elle semble indiquer que son activit� fut g�ographiquement tr�s �tendue et que son appartenance � l�Art Nouveau rel�ve d�un concours de circonstances, � la fois fortuit et �ph�m�re. Sans doute devrait en apprendre beaucoup plus sur son activit� apparemment tr�s atypique dans les ann�es � venir.
Le foyer de la rue de Lille eut, en son temps, les honneurs assez flatteurs de la presse sp�cialis�e. Sans doute la singularit� de son affectation lui donna un caract�re insolite qui inspira les journalistes de l��poque, qui en vant�rent le caract�re tr�s fonctionnel, l�existence d�une centaine de chambres pour les jeunes posti�res, et la pr�sence de ce fameux r�fectoire qui leur servait de salle commune.
Ce vaste espace, couvrant l�essentiel du rez-de-chauss�e, a �t� en tr�s grande partie conserv�, et jusqu�� son joli pavement. Il a m�me �t� r�cemment restaur� � la faveur d�un changement de propri�taire. On y admirera donc l�imposant buffet-horloge qui occupe l�essentiel d�une des parois, les vitraux - aux motifs v�g�taux si stylis�s qu�on h�site � y reconna�tre des oranges - et un agencement tr�s �cubiste� pour les d�parts d�arcs qui soutiennent le plafond, d�un effet � la fois simple, fonctionnel et tr�s original.
Notre d�ner se d�roula dans la partie vitr�e du restaurant, celle qui donne sur le petit jardin int�rieur, dans une ambiance � la fois douce, par le grand d�pouillement du d�cor, et feutr�e, gr�ce � un �clairage savamment tamis�.
Nous avons, comme il se doit, f�t� le succ�s d�Olivier, � qui j��tais heureux d�offrir une tr�s d�licate aquarelle sur calque, mod�le de lustre � motif de cyclamen. Le dessin n�est pas sign�, mais ne semble pas �tre de �l��cole de Lalique�, comme semblait vouloir m�en persuader la marchande qui me l�avait vendu, il y a quelques ann�es.
On ne pr�te g�n�ralement qu�aux riches ; mais, dans ce cas de figure, le poisson �tait visiblement trop gros, au point que la dame ne semblait pas en �tre totalement persuad�e elle-m�me. Ce dessin pourrait plut�t �tre de Jean Dampt (1854-1945), un sculpteur ami de Charles Plumet, avec qui il avait fond�, en 1896, le groupe de �l�Art dans tout�. Dans ce cadre-l�, il fut amen� � concevoir plusieurs mod�les assez similaires de luminaires, parfois caract�ris�s par de comparables arborescences v�g�tales en m�tal.