115 rue Saint-Lazare (8e arrondissement)
L. Mollard, propri�taire depuis trente ans d�une brasserie portant son nom, formidablement bien plac�e entre les deux entr�es principales de la gare Saint-Lazare, d�cida en 1894 de moderniser son �tablissement, et fit appel � un architecte encore peu connu, Edouard Niermans (1859-1928). Sa demande �tait bien plus qu�un simple am�nagement int�rieur, puisqu'elle n�cessitait la transformation d�une cour int�rieure, commune � trois immeubles, en un jardin d�hiver, au centre du restaurant ; elle entra�na donc le d�p�t n�cessaire d�un dossier de voirie, et la demande de permis de construire fut publi�e le 4 janvier 1895.
N� aux Pays-Bas, Niermans venait r�cemment de se faire remarquer lors de l�Exposition universelle de 1889. En quelques ann�es, il se fit confier la d�coration de plusieurs caf�s et restaurants parisiens, mais aussi la mise au go�t du jour de la plupart des principales salles de spectacle de la capitale : Casino de Paris, Moulin-Rouge, Olympia, Elys�es-Montmartre, Folies-Berg�res... La liste est prestigieuse !
Le Caf� Riche, en 1894, lui apporta un premier grand succ�s dans le domaine de la restauration, imm�diatement suivi par la brasserie Mollard (1895) et surtout par la taverne Pousset, boulevard des Italiens (1897-1898), et le Parisiana, boulevard Montmartre (1898), qui lui assur�rent une immense notori�t�. Cette renomm�e allait l�amener � conduire de tr�s importants chantiers dans les ann�es � venir, comme celui de l�H�tel du Palais, � Biarritz, et surtout celui de son probable chef-d��uvre, l�h�tel Negresco, � Nice.
H�las, la plupart de ses lieux de divertissement ne r�sist�rent pas � l�usure du temps : n�s de la mode, ils furent pratiquement tous emport�s par l�arriv�e de modes plus nouvelles. Seul Mollard put, tr�s indirectement, r�sister, gr�ce au simple camouflage du d�cor original derri�re de fausses cloisons ; l��uvre de Niermans put ainsi �tre facilement retrouv�e, au milieu des ann�es 1960. N�anmoins, la fa�ade originale avait d�j� disparue. Assez simple, elle se composait essentiellement de baies en verre grav�, qu'il �tait possible d'ouvrir et de replier pour ouvrir la salle sur l'ext�rieur � la belle saison, et d'une �troite verri�re prot�geant la terrasse des intemp�ries.
Si le Caf� Riche ou la taverne Pousset eurent, en leur temps, les honneurs g�n�reux d�une presse enthousiaste, la brasserie Mollard, inaugur�e le 14 septembre 1895, fut alors plus discr�tement lou�e, m�me si elle devint une r�f�rence dans l��uvre de l�architecte. Il ne semble pas qu'on en ait conserv� des dessins et les photographies d��poque sont fort rares. Mais sa date pr�coce en fait, tr�s certainement, le plus ancien d�cor Art Nouveau conserv� � Paris.
Cette pr�cocit� lui conf�re n�anmoins un statut ambigu, d�autant plus que Niermans se contenta de r�am�nager des volumes existants, dont il ne put que subir les contraintes.
Le d�cor est constitu� de deux �l�ments principaux, diff�rents, mais tr�s compl�mentaires : de grands panneaux de fa�ence, int�gr�s dans un habillage de mosa�ques. Le reste du restaurant, en marbres de couleur, bois de teck et bronze, appara�t plus conventionnel, m�me si la verri�re centrale rev�t quelques gr�ces orientalisantes. De ses verres peints et partiellement dor�s d'origine, il ne reste que quelques fragments : d�truite pendant l'une des deux Guerres mondiales, elle ne fut malheureusement jamais reconstitu�e (1).
Gr�ce � une multitude de signatures et de dates, nous avons toutes les certitudes concernant les artistes ayant collabor� � cette entreprise : l�entr�e de l��tablissement est clairement dat�e : �Anno 1895�, et un peu partout se retrouvent les noms de Niermans, de H. Bichi, le mosa�ste, et de M. Simas, auteur des cartons des panneaux de fa�ence, r�alis�s par la manufacture de Sarreguemines.
Les mosa�ques se font imm�diatement remarquer : elles couvre le sol, les murs et surtout les plafonds. Bichi les a couvertes de centaines de motifs, d�un dessin souvent na�f, mais d�une grande gaiet� dans les coloris : fleurettes au sol, motifs plus g�om�triques sur les murs, insectes, papillons, fleurs et fruits sur les plafonds. L�artiste a parfois utilis� des tesselles dor�es pour mieux faire briller ses dessins, et int�gr� de grosses perles de verre pour cr�er, par endroits, un l�ger relief.
Contrairement � Facchina, qui fut le grand mosa�ste de l��poque 1900, Bichi semble �tre rest� beaucoup moins connu. En 1899, un certain Enrico Bichi r�alisa la fa�ade de la petite chapelle Notre-Dame, d�pendant de la paroisse Saint-Honor�-d�Eylau. On sait aussi qu�un Bicchi, � la m�me date, fut pressenti pour collaborer � une chapelle fun�raire de Barbaud et Bauhain, au cimeti�re de Clamart. S�il ne s�agit pas forc�ment du m�me artiste - le pr�nom du Bichi de la brasserie Mollard semblant �tre diff�rent -, il appartient pourtant, certainement, � la m�me entreprise.
Eug�ne Martial Simas (1862- ?) est � peine mieux connu. Auteur de la d�coration du pavillon LU � l�Exposition universelle de 1900, et collaborateur de la magnifique d�coration int�rieure du ch�teau Laurens � Agde (1898-1901), il travailla quelques ann�es pour la manufacture de S�vres, mais collabora plus abondamment avec celle de Sarreguemines. Pour Mollard, il y r�alisa de charmantes petites sc�nes de genre contemporaines, destin�es � illustrer quelques destinations pittoresques de la gare Saint-Lazare, dont Trouville, Saint-Germain-en-Laye ou Ville-d�Avray. Dans le vestibule, il dessina deux autres compositions, tr�s �tonnantes : �Le d�part�, montrant des voyageurs de dos, dont une femme avec un paquet orn� de quelques lettres permettant de comprendre qu�elle arrive directement des grands magasins, et �L�arriv�e�, o� des personnages �quivalents sont pr�sent�s de face. La composition la plus ambitieuse, tr�s amusante, est l�immense panneau qui orne le mur complet d�un salon isol�. Elle repr�sente un souper de f�tards sortant d'un bal costum� : un Pierrot s'y laisse attacher les mains dans le dos avec des serpentins et une jeune femme lui pr�sente une coupe de champagne ! Par la pr�sence d�un �M� sur le fond du d�cor, il ne fait aucun doute que cette �trange sc�ne a volontairement �t� situ�e chez Mollard, o� l�initiale du propri�taire est omnipr�sente.
En 1987 et 1995, le mus�e de Sarreguemines a fait l�acquisition de trois panneaux, apparemment sans savoir qu�ils �taient des r�pliques des compositions cr��es pour Niermans : �Ville-d�Avray�, �Le d�part� et �L�arriv�e�. On y retrouve aussi le plus �nigmatique panneau japonisant, pr�sentant des �chassiers pr�s de branchages fleuris, qui pourrait avoir �t� plac� dans la brasserie � une date plus r�cente, et dans un salon au d�cor plus moderne. On n�y retrouve d�ailleurs pas la simplicit� et le pittoresque de Simas.
Ainsi, � une date o� l�Art Nouveau n�existait � Paris que sous des formes modestes et encore tr�s discr�tes, Edouard Niermans proposa, dans le restaurant de la rue Saint-Lazare, une atmosph�re festive, color�e, tout en lui gardant une certaine l�g�ret�, sans les ornements plus lourds et plus ostentatoires qui allaient bient�t faire le succ�s d'�tablissements plus authentiquement Art Nouveau. Mais, gr�ce � ses panneaux de fa�ence, fabriqu�s dans une Lorraine d�j� tr�s en avance dans le domaine des arts d�coratifs, nous y sommes assur�s du style volontairement audacieux que l�architecte chercha � imposer, et dont le charme, plus d�un si�cle plus tard, ne s�est pas �mouss�.
(1) Il serait abusif d'affirmer que la brasserie nous est parvenue dans un parfait �tat de conservation. Outre la fa�ade et la verri�re du jardin d'hiver centrale, on pourra regretter la perte de son mobilier, des jolies pat�res, des luminaires, et de quelques vitraux, aujourd'hui remplac�s par des glaces, qui lui donnaient un air � la fois moderne et solide, sinon un peu rustique, avec d'�videntes influences nordiques. Mais on reconna�tra que l'essentiel a �t� pr�serv�.