5 rue Marbeuf (8e arrondissement)

IMG_1999
Parmi les premiers restaurants qui furent am�nag�s pendant la p�riode Art Nouveau, celui de la rue Marbeuf eut un destin bien singulier qui nous a permis de le voir presque int�gralement conserv�, et m�me exceptionnellement agrandi � une �poque tr�s r�cente.
Au d�part, cet �tablissement, install� au d�but de la rue Marbeuf - qui lui vaut aujourd�hui le nom de �Fermette Marbeuf� -, � l�angle de la rue Boccador, �tait un bien curieux am�nagement. La demande de permis de construire, d�pos�e par MM. Guillaume et Lef�vre et publi�e d�s le 10 mars 1896, le sp�cifiait d�ailleurs en partie : il s�agissait de transformer une �boutique en rez-de-chauss�e�. Mais la salle de restaurant proprement dite fut, en v�rit�, r�alis�e en couvrant une cour int�rieure avec une double verri�re, l�une prot�geant la seconde qui, seule, fut orn�e d�un d�cor peint. Ce restaurant eut-il un nom originel ? D�pendant, en fait, de l�h�tel Langham, dont il �tait simplement la salle � manger, il semble n�avoir jamais eu de nom sp�cifique.
Fermette+Marbeuf+n%C2%B02
Deux ans plus tard, un article du num�ro de �La Construction Moderne� du 5 mars 1898 (p. 270-271) en proposa des images. Emile Rivoalen, l�un des r�dacteurs principaux de la revue, �crivit l�article, dont voici des extraits :
�Salle de restaurant, rue Boccador, � Paris (Hurtr�, architecte, et Wielharski (1), peintre)
�L�art nouveau�, voil� le succ�s du jour ; voil� ce qu�on demande aux jeunes, et ce qu�on voudrait m�me pouvoir obtenir des vieux ; voil� ce qu�ont cherch� MM. Hurtr� et Wielharski - deux jeunes - en b�tissant et d�corant, de toutes pi�ces et en quelques semaines, une sorte de hall en fer, fonte, vitrage et fa�ence �maill�e, devant servir de salle � manger en un restaurant de la rue Boccador, �tablissement � client�le exotique, situ� non loin des Champs-Elys�es.
Fermette+Marbeuf+n%C2%B03
Une �troite cour int�rieure, entour�e de b�timents sur un plan assez biscornu, �tait l�emplacement rest� disponible pour y �lever ce pavillon vitr�, dont les parois ext�rieures devaient forc�ment avoisiner, et de tr�s pr�s, les murs des b�timents de service entourant ladite cour. [mais il fallait laisser �d�couvert l�espace d�une petite cour de service�] [...]
L�ensemble de ce pavillon se compose 1� d�une charpente ou ossature m�tallique : colonnettes en fonte, creuses, avec chapiteaux en forme de vases � la panse ajour�e ; frises et arcs en fonte ou en t�le ; [....] cr�te en t�le d�coup�e pour d�corer la base du vitrage et adoucir la transition du plein au vide.
Fermette+Marbeuf+n%C2%B04
[....] les grands panneaux rectangulaires compris, sous les impostes des arcades, entre les montants fixes m�talliques ou meneaux, ces panneaux de gros verre non transparent, dit �cath�drale�, �maill� des deux c�t�s, � reliefs tr�s saillants pour le d�cor, ces verri�res forment ici rev�tement opaque, tout comme il en serait de panneaux en fa�ence, si ces dimensions �taient possibles en c�ramique, sans risque de d�formation au four. Les frises (iris) et les impostes (paons � la roue �panouie) sous forme de petits carreaux, de dimensions ordinaires, en fa�ence �maill�e ; de m�me pour les calebasses courant au pourtour int�rieur du ch�neau.
Fermette+Marbeuf+1
Le vitrage du comble est compos� de feuilles de verre double courb� � la demand� et d�cor�, par peinture sur verre, de branchages et rameaux dans le go�t un peu japonais, aujourd�hui en faveur.
En outre des d�tails d�ex�cution fournis par l�architecte pour la structure m�tallique du pavillon, des �cartons� dessin�s et peints � grandeur d�ex�cution ont �t� fournis par l�architecte et son collaborateur, le peintre, pour l�ex�cution des verres peints et des fa�ences �maill�es.
Et voil�, au moins en ce qui concerne la d�coration, et � part quelques d�tails, un morceau qu�on peut bien �tiqueter �art nouveau�.
L�architecte, Emile Hurtr�, n�appara�t qu�� trois reprises dans mon d�pouillement des demandes de permis de construire : la premi�re fois, en f�vrier 1896, pour un �difice projet� au 3, rue Victor-Consid�rant, dans le XIVe arrondissement ; la seconde, quelques jours plus tard, pour la Fermette Marbeuf ; et une derni�re fois, en avril 1900, pour un �difice de trois �tages, situ� 1 bis, avenue Montespan, dans le XVIe arrondissement. Son nom est donc absent des annales avant 1896 et dispara�t apr�s 1900. En r�gion parisienne, il eut aussi le temps d��difier une assez jolie villa � Villennes. Ainsi, cet architecte, rest� bien obscur, eut sans doute une courte carri�re, peut-�tre interrompue par un d�c�s pr�coce.
IMG_1962
Hurtr� ne participa qu'une seule fois au Salon des Artistes fran�ais, en 1898. Sous le n�4362, il montra alors un �Projet de salle � manger� qui semble ne pas �tre autre chose que notre salle de restaurant. Le catalogue nous apprend par ailleurs qu�il �tait n� � Nice et avait �t� l��l�ve de Victor Laloux.
Le peintre Jules Wielhorski ne fut pas plus c�l�bre. Peut-�tre resta-t-il dans le domaine, plus confidentiel, de la peinture d�corative. Eut-il un lien de famille avec le nanc�en Casimir Wielhorski, dont le mus�e des Beaux-Arts de Pau conserve un grand tableau, �Matin�e � Trouville�, acquis au Salon des Amis des Arts de la ville, o� il fut expos�, en 1908, sous le n�309 ? Peut-�tre... Peut-�tre pas...
img259
Les photographies d��poque montrent de fa�on incontestable que ce restaurant �tait compos� d�une grande salle principale, de plan carr�, ouvrant sur un second espace, plus �troit et rectangulaire, qui a aujourd�hui disparu. Ainsi, beaucoup plus referm�, il a maintenant gagn� en intimit� ce qu�il a probablement perdu en volume. Il impressionna consid�rablement les contemporains pour son a�rienne verri�re, au d�cor v�g�tal gracieusement japonisant, ses panneaux de carreaux de fa�ences, principalement � d�cors d��chassiers et de v�g�taux, la gr�ce de ses colonnettes de fonte en partie dor�es, l�originalit� de ses grands �l�ments muraux en verre �maill�, r�alis�s par Hubert et Martineau, � d�cor de tournesols et d�abeilles. L�ensemble baigne dans une atmosph�re envo�tante, dans des colorations douces, o� domine le vert, le brun, le jaune et l�or. Vers 1900, le public �tait friand de lieux exotiques et d�ambiances orientalisantes. Paris se dota alors d�un nombre consid�rable de lieux de divertissements comparables, �voquant, parfois avec un go�t de pacotille assez douteux, un Orient fantaisiste et clinquant. La plupart d�entre eux �taient des cabarets ou des caf�s-concerts. Plus exceptionnels �taient les brasseries, les simples bars et les restaurants.
IMG_2001
L�ensemble aurait pu dispara�tre, avec les multiples changements de go�t qui nous s�parent de l�Art Nouveau, s�il n�avait pas �t� simplement masqu� derri�re de fausses cloisons. Il fut presque fortuitement red�couvert en 1978, par le propri�taire de l��poque.
La signature �J. C. Wielhorski� figure en haut du principal panneau de c�ramique : une charmante jeune femme, au milieu d�un paysage fleuri, l�ve les bras. D�une main, elle se tient � une branche d�arbre ; de l�autre, elle laisse s��chapper des dizaines de petites abeilles (2). L�ensemble ressemble fort � une all�gorie du Printemps. Dans l�article d�j� cit� de Rivoalen, une autre image repr�sente une seconde femme � demi-nue, paraissant cueillir un fruit sur un arbre, sans doute pour figurer la saison de l�Automne. A premi�re vue, l��uvre photographi�e n��tait pas un panneau en c�ramique, dont on pourrait voir les joints, mais son carton pr�paratoire. S�il fut joint � l�article, c�est qu�on pouvait certainement alors le voir dans le restaurant ; mais peut-�tre se trouvait-il alors dans la partie aujourd�hui disparue.
IMG_1986
IMG_1978
Une autre circonstance exceptionnelle a permis au propri�taire de la Fermette Marbeuf - en 1982, pour �tre exact -, de trouver, de manquer, puis d�acheter en vente publique, � Orl�ans, un assez comparable ensemble, r�alis� dans l�ancienne propri�t� des Clermont-Tonnerre, � Maisons-Laffitte. Et les auteurs en �taient les m�mes qu'� la Fermette Marbeuf ! Il ne s�agissait pas, contrairement � ce qu�on pourrait comprendre du texte figurant dans le joli menu de l��tablissement, d�un d�cor identique, puisqu�il consistait en un tr�s vaste jardin d�hiver enti�rement vitr�. D�mont�, ce second ensemble fut r�install�, rue Marbeuf, pour d�corer la premi�re salle actuelle du restaurant : les diff�rents �l�ments ont �t� recompos�s en fonction des contraintes d�un volume beaucoup plus petit, ce dont t�moigne le caract�re un peu disparate de ce d�cor, n�anmoins r�alis� avec go�t et talent, mais dont les �l�ments apparaissent forc�ment un peu juxtapos�s. Une partie de l�immense verri�re originale a servi � d�corer le bar actuel, ainsi que les colonnettes de fonte, � d�cor plus ouvertement �gyptien. Il n�en reste pas moins que cet extraordinaire acquisition a permis le sauvetage d�un second remarquable ouvrage des premi�res ann�es de l'Art Nouveau, formant comme un �crin � la salle initiale.

IMG_1989
(1) Rivoalen fit une erreur en �crivant �Wielharski� au lieu de �Wielhorski�. La signature de ce peintre-d�corateur, ainsi que les autres �l�ments de la bibliographie du restaurant, permettent ais�ment de lui rendre sa v�ritable orthographe. La publication assez tardive de cet article a toujours laiss� penser que le d�cor aurait �t� achev� au d�but de l'ann�e 1898. Mais la demande de permis de construire nous assure d'une ant�riorit� de deux ans. Il serait donc, de fa�on assez indiscutable, le premier lieu Art Nouveau ouvert au public, m�me s'il �tait alors en grande partie r�serv� � la client�le d'un h�tel.
(2) De comparables abeilles d�corent les panneaux de cuivre repouss� des portes de service - notamment des toilettes. Les propri�taires actuels de l��tablissement m�ont assur� qu�elles dataient aussi de 1896. La pr�sence du m�me insecte, un peu partout dans l'�tablissement, et notamment sur le panneau de la "femme aux abeilles", permet, en effet, d'en avoir la certitude.