4 avenue d�I�na (16e arrondissement)

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C�est avec un relatif retard que �La Construction moderne� se d�cida � publier l�immeuble Sanchez de Larragoiti, construit sur l�avenue d�I�na, en 1897-1898, par Xavier Sch�llkopf (1869-1911). En effet, on ne l�y trouve pas avant les num�ros des 12, 20 et 27 janvier 1900. Les illustrations et planches hors-texte pr�sentent les deux fa�ades de cette vaste demeure, tant sur l�avenue d�I�na que sur la rue Fresnel - qui lui est parall�le et en contrebas sur la colline de Chaillot -, ainsi que de multiples d�tails des salons int�rieurs, en particulier des chemin�es, aussi originales et diff�rentes les unes que les autres. Ainsi, cette �uvre pr�monitoire, con�ue avant l��mergence du Castel B�ranger et achev�e au moment m�me o� le chef-d��uvre de Guimard allait commencer sa magnifique aventure m�diatique, manqua son important rendez-vous avec l�histoire : sa pr�cocit� ne fut pas reconnue � sa juste valeur, ni son architecte comme un des initiateurs v�ritables de l�Art Nouveau parisien.
L�histoire de cette demeure, aujourd�hui si�ge de l�ambassade d�Iran � Paris, est assez singuli�re, puisqu�il ne fallut pas moins de trois �artistes� pour la concevoir, puis pour l��difier, et enfin pour la d�figurer en tr�s grande partie.
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En effet, la s�rie de plans, jointe � la demande de permis de construire publi�e le 8 juillet 1897, est sign�e par un architecte du nom d�Edouard Georg�, demeurant 64, rue Blanche. On y reconna�t d�j� parfaitement l��difice effectivement construit. Pourtant, Georg� n�est m�me pas mentionn� dans l�article de 1900, puisque Sch�llkopf, dont c�est la premi�re �uvre connue, y est mentionn� comme le seul auteur de l��uvre. L�explication de ce petit myst�re biographique est pourtant tr�s vaguement sugg�r� dans l�article du 12 janvier, o� il est clairement dit que le jeune homme fut pendant plusieurs ann�es l�assistant d�un architecte plus �g�, malade, et r�cemment d�c�d�. Sans �tre nomm�, il ne fait aucun doute que le �patron� �voqu� n��tait �videmment qu�Edouard Georg�.
J�ai retrouv� la notice n�crologique de celui-ci, publi�e dans �La Construction moderne�, � la date du 2 octobre 1897 (p. 12). Il ne semble pas inutile de la reproduire ici :
�M. Edouard Georg�, architecte � Paris
On annonce la mort de M. Marie-Joseph-Edouard Georg�, architecte, inspecteur de la salubrit� des garnis, membre de la Soci�t� des artistes fran�ais, officier d�Acad�mie.
N� � Nancy en 1856, M. Edouard Georg�, �l�ve de M. Guadet et de la seconde classe de l�Ecole des Beaux-Arts, �tait attach� au service d�architecture de la Pr�fecture de police pour l�inspection des garnis. Il avait pris part � plusieurs concours publics et avait obtenu une prime pour le monument de l�Abb� Gr�goire, � Lun�ville, ainsi que le premier prix (en collaboration avec M. Kahenn) pour la Salle des f�tes � au [sic] Jardin d�acclimatation � Paris.
M. Edouard Georg� meurt � quarante et un ans, n�ayant pu encore donner toute la mesure de son talent, et sera vivement regrett� de ses confr�res et de ses anciens camarades.�
De cette courte notice, il ressort que cet architecte n�a pas beaucoup construit. A Paris, on ne compte pour lui qu�une rare poign�e de chantiers : de menus travaux d�am�nagements pour le 68, rue d�Aubervilliers, en 1893, un projet pour le 89, rue Servan, � l�angle de la cit� Bertrand (1896), puis l�immeuble de la rue Alphonse-de-Neuville (1896), et enfin l�h�tel de l�avenue d�I�na.
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A la mort de cet architecte bien obscur, Sch�llkopf reprit donc � son compte tous les projets en cours et installa m�me son agence � son adresse, 64, rue Blanche. Y eut-il malhonn�tet� de sa part ? Sans doute pas. Disparu tr�s jeune, Georg� n�eut gu�re le temps de montrer toute l��tendue de son talent, mais son immeuble du 15, rue Alphonse-de-Neuville, dans le XVIIe arrondissement, n�est pas sans enseignements. La fa�ade, qu�il signa et data, en est assez banale, faisant un habile �talage d�une culture tr�s classique. Mais la d�coration tr�s baroque de la cage d�escalier montre une inspiration beaucoup plus originale, qui est peut-�tre la part laiss�e � son jeune assistant dans ce projet. Cet immeuble n�est pas sans int�r�t pour notre propos, puisque le commanditaire de l�actuelle ambassade d�Iran �tait justement, en 1897, domicili� au 11 bis, rue Alphonse-de-Neuville. Sa commande �tait donc n�e d�une relation de voisinage, comme cela arrivait souvent, � l��poque, dans le domaine de l�immobilier.
Sans doute trop malade pour avoir dessin� lui-m�me l�h�tel Sanchez de Larragoiti suivant le style �clectique qui semblait bien �tre le sien, Georg� laissa alors faire l�essentiel du travail � Sch�llkopf qui, � sa mort, reprit en totalit� la paternit� du projet. C�est donc sous son seul nom que l��difice fut connu et publi�, lui attirant une rapide c�l�brit� qui allait rapidement le conduire � la construction de l�h�tel d�Yvette Guilbert.
Sanchez de Larragoiti �tait probablement un riche Portugais. Sa maison r�pondait � des demandes tr�s pr�cises quant � la distribution des espaces, mais subissait aussi les contraintes naturellement ingrates d�un terrain tr�s en pente. La difficult� fut r�solue par l�am�nagement de vastes �curies sur la rue Fresnel, servant en m�me temps de soubassement � un assez vaste jardin, que le proc�d� permit ainsi de rendre plat. Un long escalier lat�ral permettait de relier ces �curies � la maison sans avoir � sortir sous la pluie.
L�h�tel proprement dit est l�g�rement en retrait par rapport � la rue, comme tous ses voisins, m�nageant une tr�s confortable cour derri�re d�imposantes grilles en fer forg�. Sch�llkopf y fit la premi�re d�monstration de son entr�e dans l�Art Nouveau, de fa�on relativement timide pour les �tages inf�rieurs, mais beaucoup plus �vidente au niveau des combles, o� les fen�tres �taient reli�es par de curieux arcs de pierre. D�inspiration visiblement rococo, la maison se pr�sentait donc comme une �uvre de bon go�t, avec des audaces encore volontairement retenues. On remarquera d�ailleurs qu�entre le projet dessin� figurant dans le dossier de voirie, aux Archives de Paris, et la fa�ade r�alis�e, de nombreuses diff�rences peuvent �tre not�es, principalement au niveau de la sculpture ornementale, par endroits plus originale, ailleurs un peu plus r�fr�n�e, signe que l�Art Nouveau n�y fit pas son apparition sans h�sitations.
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L�int�rieur de la demeure, avec son magnifique escalier central, caract�ris� par des ouvertures circulaires � chaque �tage, entour�es de balustrades, et un grand vitrail sommital, affichait d�j� une modernit� beaucoup plus franche. Le grand salon, pour sa part, n��tait qu�un jeu de boiseries et de glaces, autour d�une extraordinaire et tr�s originale chemin�e en gr�s. Les retomb�es d�arcs, � d�cor d�animaux, signalaient certainement un go�t passionn� du propri�taire pour la chasse. Si nous ne savons pas grand chose de l�allure des autres pi�ces, les quelques chemin�es reproduites dans la presse suffisent � y supposer, au moins, une �gale invention � tous les niveaux, avec un grand souci de qualit� technique.
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A c�t� de la voie m�di�vale, suivie par Hector Guimard dans ses premi�res �uvres indiscutablement Art Nouveau, Sch�llkopf ouvrait une br�che vers un autre langage, respectueux d�une certaine tradition fran�aise, o� Jules Lavirotte allait tr�s rapidement le suivre, non sans y saupoudrer les indices d�un historisme plus large, teint� de r�miniscences orientales.
Malheureusement, l�h�tel a peut-�tre �t� rapidement vendu, et ses nouveaux propri�taires, sans doute peu enthousiasm�s par les circonvolutions du Modern Style, s�empress�rent de confier � Gustave Rives le soin de remodeler l��difice, � l�ext�rieur comme � l�int�rieur. Ce travail semble n�avoir pas fondamentalement modifi� la structure m�me de l�h�tel, puisqu�il ne fit pas l�objet d�une nouvelle demande de permis de construire.
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Sur l�avenue d�I�na, la maison perdit donc toute trace de �style moderne� ; seule sa belle cl�ture en pierre et en m�tal fut miraculeusement pr�serv�e. Mais le b�timent lui-m�me, qui s�inspirait encore largement de l�art du milieu du XVIIIe si�cle, devint d�finitivement de style Louis XV, et Gustave Rives, sans doute tr�s fier de son intervention, gratta la signature de son pr�d�cesseur pour la remplacer par la sienne, malheureusement sans la faire suivre d�une date qui nous aurait inform�s sur l��poque de ces modifications.
Sur la rue Fresnel, les �curies furent �galement sauv�es, n�int�ressant certainement pas les nouveaux propri�taires, sans doute indiff�rents � cette partie de la propri�t� et trouvant inutile de d�penser de l�argent � modifier des espaces purement utilitaires. C�est bien tout ce qui nous reste d�important de la premi�re �uvre de Sch�llkopf.
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Gr�ce � l�obligeance de l�ambassadeur d�Iran � Paris, il m�a �t� possible d�organiser une visite d�une partie de l�h�tel pour quelques sp�cialistes d�Art Nouveau, il y a quelques mois, et de satisfaire enfin une - bien ancienne - curiosit� quant � la conservation �ventuelle des espaces int�rieurs. H�las ! Il fallait s�en douter : plus aucune trace des am�nagements si originaux de 1898 ne subsiste : la cage d�escalier fut enti�rement d�molie, et refaite suivant des principes strictement classiques ; les salons furent red�cor�s, et certains enti�rement rev�tus de boiseries Louis XV. Seule (maigre) consolation : les portes du vestibule, d�un Art Nouveau tr�s sobre, furent les seules rescap�es de ce r�am�nagement. Que sont devenues les chemin�es, les boiseries, les d�tails de sculpture ? Sans doute imm�diatement d�truits, irr�m�diablement. C�t� jardin, la fa�ade - totalement invisible depuis la rue Fresnel - a subi le m�me traitement que sur l�avenue : Rives y d�ploya son �clectisme consomm� pour faire dispara�tre toute trace de modernit�, sur un mur qui �tait pourtant d�j� tr�s sobre ; il conserva n�anmoins les garde-corps originaux des fen�tres, ainsi que l�appui m�tallique de l�escalier conduisant au jardin.
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On regrettera, �videmment, la perte presque totale de ce probable premier chef-d��uvre de l�Art Nouveau parisien. Il subit, presque imm�diatement apr�s sa construction, la terrible r�sistance du �bon go�t� � une modernit� trop audacieuse, dont on sait qu�elle n�a jamais r�ussi � s�imposer v�ritablement. Nous nous en plaindrons d�autant plus que Xavier Sch�llkopf, lui aussi mort tr�s jeune - et approximativement au m�me �ge qu�Edouard Georg� ! -, fut assez peu prolifique.
Il est certain que la fonction actuelle du b�timent en interdit la contemplation en toute qui�tude. Mais on pourra au moins, en passant le long du Conseil Economique et Social - une bien belle �uvre d�Auguste Perret -, en admirer la belle et sobre grille, tout en d�plorant la bien banale intervention de Gustave Rives, un architecte pourtant tr�s talentueux, et qui a m�me plusieurs fois sacrifi� � la mode de l�Art Nouveau dans sa carri�re.
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Une descente dans la rue Fresnel permettra, au moins, de se faire une id�e des �curies monumentales que le jeune architecte y construisit. De fa�on assez pratique, ce b�timent permet aujourd�hui d�accueillir le public sans d�ranger l�activit� propre de l�ambassade. Il est �vident qu�il ne servait d�j� plus � loger des chevaux depuis longtemps ! Mais le garage qu�on y devinait, il y a encore une vingtaine d�ann�es, conservait encore une grande partie de son agencement d�origine, avec ses belles fermes m�talliques. On ne peut malheureusement plus juger de l��ventuelle conservation de ces derni�res, au travers de l�immense mur de verre impersonnel qui le cl�t d�sormais. Mais il s�agit peut-�tre d�un moindre mal, qui a permis de sauver, malgr� tout, cet �tonnant �difice utilitaire, ing�nieux, monumental, orn� d�ornements sculpt�s assez rustiques. Il a au moins conserv� sa grande poutre m�tallique aux simples et d�licats enroulements lat�raux.